L’Ecran, l’icône et le miroir

Jacques-Benoît Rauscher, L’Ecran, l’icône et le miroir : Chercher Dieu dans un quotidien technologique, Desclée de Brouwer, Septembre 2025, 176 pages.

Couverture du livre L'Ecran, l'icône et le miroir

Ce livre bref mais dense se situe à la croisée de la théologie spirituelle, de la morale chrétienne et d’un discernement très concret sur nos usages numériques. Contrairement à nombre d’essais récents sur l’intelligence artificielle ou le transhumanisme, Jacques-Benoît Rauscher ne se concentre ni sur les scénarios prospectifs ni sur les grands débats philosophiques abstraits : il s’attache explicitement au « monde du quotidien », à ces gestes ordinaires — consulter son smartphone, travailler en ligne, acheter, s’informer, se divertir, « se former » ou « se lier » en ligne — où se joue, sans bruit, une part décisive de la vie spirituelle.

L’intention programmatique est clairement énoncée : il s’agit de « caractériser lucidement les mutations de notre temps, écouter comment celles-ci permettent de recevoir à nouveau frais la parole que Dieu adresse au monde, et travailler les faiblesses ou les chantiers qu’elles mettent au jour dans notre réflexion chrétienne présente » (p. 14). Autrement dit, l’auteur ne se contente ni de dénoncer ni de bénir les technologies, mais cherche à en faire le lieu même d’un travail théologique : relire l’Écriture et la Tradition à la lumière des dispositifs numériques, et réciproquement, laisser ces ressources chrétiennes éclairer et juger nos pratiques.

La grande originalité de l’ouvrage tient à un dispositif méthodologique simple et très pédagogique, répété à chaque chapitre : l’écran, l’icône et le miroir. L’écran désigne le constat lucide du quotidien technologique : ce que nos dispositifs font concrètement à nos manières de travailler, de consommer, de nous informer, de désirer, de nous lier. L’icône ouvre un espace de relecture croyante : l’auteur met chaque situation en dialogue avec un ou plusieurs textes bibliques et des éléments de la Tradition, pour faire apparaître les tensions, appels et promesses. Le miroir propose enfin un discernement moral et spirituel : il s’agit d’identifier des marges concrètes de conversion, à la fois personnelles et communautaires. L’auteur propose ainsi une véritable méthode de discernement chrétien en contexte numérique : regarder en face notre réalité avec l’écran, prendre du recul avec l’icône, puis recevoir un appel à la conversion dans le miroir, où se réfléchissent nos responsabilités et celles de nos communautés.

L’ouvrage se déploie en sept chapitres, chacun consacré à un pan de notre vie numérique. Le premier chapitre traite de notre relation au smartphone. L’auteur analyse ensuite le télétravail et la porosité accrue entre sphère professionnelle et vie personnelle. À propos de l’information continue, le troisième chapitre souligne que l’Agneau dévoile le sens de l’histoire, et fait appel à une référence suggestive à Évagre le Pontique sur l’ennui et la tentation. Le quatrième chapitre sur les achats en ligne s’intéresse à l’accumulation de richesses. Le chapitre suivant aborde frontalement la question de la pornographie en ligne ; le propos n’est pas lénifiant mais nuancé, structuré, exigeant. Le sixième chapitre s’intéresse ensuite s’intéresse aux connaissances en ligne et à l’apprentissage. Dans son dernier chapitre, l’auteur interroge la sociabilité numérique.

L’ouvrage se distingue par plusieurs contributions importantes. Il questionne théologiquement les mutations technologiques déjà à l’œuvre dans nos gestes les plus ordinaires. Il montre que la question est de savoir comment elle reconfigure l’attention, le travail, le désir, les relations, et donc la vie théologale.

Le projet central du livre est de « redire que la tradition chrétienne et catholique, même la plus ancienne, est susceptible de nous aider à désigner et repenser un certain nombre de caractéristiques de notre époque » (p. 115). En convoquant tour à tour l’Exode, l’Apocalypse, le récit d’Emmaüs, Augustin d’Hippone, Thomas d’Aquin…, l’auteur manifeste une grande confiance dans la capacité herméneutique de la Tradition.

Le triptyque écran / icône / miroir vaut bien au-delà des thématiques abordées : il fournit un schéma de discernement transférable à d’autres enjeux numériques (IA générative, jeux vidéo, métavers…). Regarder, relire, se convertir : telle est la dynamique proposée. On reconnaît là la marque d’un dominicain capable de tenir ensemble exigence intellectuelle et accompagnement pastoral. Le livre semble ainsi rassembler le fruit d’une expérience de terrain et de réflexions théologiques patiemment élaborées pour offrir un enseignement à la fois accessible et structuré sur quelques questions de notre temps.

Si le propos est d’abord personnel et ecclésial, l’auteur n’ignore pas les enjeux de justice et d’écologie. Il note ainsi qu’« il s’agirait aussi de souligner que ce bonheur matériel offert par les technologies de notre quotidien est disponible pour quelques-uns et qu’il a, à court, moyen et long terme, des conséquences en termes d’inégalités économiques et de désastres environnementaux » (p. 167).

En définitive, L’Écran, l’icône et le miroir offre une contribution précieuse à la théologie pratique du numérique. Loin de diaboliser ou de canoniser les technologies, Jacques-Benoît Rauscher prend acte de leur ambivalence et montre comment elles deviennent un lieu privilégié pour chercher Dieu dans un quotidien technologique.

Par sa méthode de discernement en trois temps, par la qualité de sa relecture biblique et traditionnelle, par son attention au concret des vies, ce livre rend de grands services à tous ceux — pasteurs, éducateurs, parents, laïcs engagés — qui cherchent à accompagner des fidèles plongés dans l’écosystème numérique. Il aide à articuler, de manière nuancée, les exigences de la vie spirituelle, les appels de la charité et les contraintes très réelles de nos environnements techniques.

Ouvrage : https://www.editionsddb.fr/product/131006/l-ecran-l-icone-et-le-miroir/

Note déontologique : l’auteur est un ami.

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