Tactique du diable

Classé dans : Ethique, Spiritualité, Théologie | 0

Clive Staples Lewis, Tactique du diable : Lettres d’un vétéran de la tentation à un novice, Empreinte Temps Présent, 2010

Publié en 1942, en pleine Seconde Guerre mondiale, The Screwtape Letters de C.S. Lewis s’inscrit dans un double contexte : celui, historique, d’un monde déchiré par le conflit mondial, et celui, personnel, d’un auteur fraîchement converti au christianisme anglican, désireux d’explorer la dynamique spirituelle du bien et du mal dans l’âme humaine. Lewis, professeur à Oxford puis à Cambridge, s’impose dans cette œuvre comme l’un des grands apologètes chrétiens du XXe siècle, combinant profondeur théologique, acuité psychologique et art du récit.

Sous la forme d’une série de 31 lettres fictives, un démon supérieur, Screwtape, conseille son neveu Wormwood dans l’art de faire chuter un « patient » humain. Ce procédé littéraire original inverse la perspective morale, obligeant le lecteur à décrypter les lettres « à rebours » : l’ « Ennemi » est Dieu, « Notre Père » est Satan. Lewis montre comment le péché s’insinue non par le spectaculaire mais par l’ordinaire : habitude, distraction, confort spirituel, oubli de la prière. La tentation est décrite comme une pente douce, imperceptible, bien plus efficace que la violence. L’auteur met ainsi en place une structure progressive et une pédagogie de la lucidité : « Le chemin le plus sûr pour l’enfer est celui qui y mène progressivement – la pente douce, bien feutrée, sans virages trop brusques… »

Théologiquement, l’ouvrage explore le mystère de la liberté humaine, la grâce, le rôle des affections désordonnées, la foi vécue au quotidien – « L’essentiel est de diriger toute sa malveillance contre ses voisins les plus proches. » – , et surtout l’amour désintéressé de Dieu – incompréhensible pour les démons. Littérairement, il s’agit d’une satire spirituelle d’une rare efficacité : Lewis mobilise ironie, intelligence et élégance stylistique pour mettre le lecteur en alerte. Le ton, à la fois caustique et paternel, rend la lecture ludique et profonde.

Le livre a été salué dès sa parution pour son originalité formelle et sa profondeur morale. Il est aujourd’hui considéré comme un classique de la littérature chrétienne. Des critiques ont noté qu’il pouvait parfois être exigeant pour un lecteur non averti, en raison de l’inversion permanente des repères moraux. Cependant, cette difficulté constitue aussi la richesse de l’œuvre : le renversement oblige à une lecture active et à une introspection personnelle.

Lewis démontre une remarquable prescience sur la sécularisation, la fragmentation de l’attention et la religion du confort : « Une religion modérée vaut tout autant pour nous que pas de religion du tout, et c’est bien plus amusant. » Son œuvre s’applique encore aujourd’hui à une société marquée par la distraction numérique, le relativisme éthique et la perte du sens de l’intériorité.

Tactique du diable est un chef-d’œuvre d’apologétique déguisée, à la fois drôle, profond et accessible. Par une inversion brillante des points de vue, C.S. Lewis propose au lecteur un miroir de ses propres luttes intérieures. Il s’agit autant d’un manuel de vigilance spirituelle que d’un traité implicite de psychologie morale. À recommander autant aux croyants en quête de discernement qu’aux lecteurs curieux des structures invisibles de la tentation.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.